Pierre Rétat
1Contrairement au plus grand nombre des discours académiques de Montesquieu, le manuscrit de celui-ci a été conservé dans les papiers de La Brède. Plusieurs indices (entre autres la main du secrétaire B) permettent de le situer en 1717.
2Le ton en est très rhétorique. Exalter la sincérité en l’opposant aux complaisances de la fausse politesse dans la vie privée et à la basse flatterie dans le commerce des princes et des grands, c’est traiter des lieux communs usés. La seule originalité consiste dès lors dans l’ingéniosité avec laquelle on conduit l’exercice oratoire.
3Montesquieu s’y entend assez. Il feint d’embrasser le sujet avec une passion qu’autorise sa propre sincérité : l’Académie le force à faire l’éloge d’une vertu qu’il chérit, il sera le « peintre » après avoir travaillé « toute sa vie » à être le « portrait ».
4Il commence par une pensée subtile : la sincérité est la vraie « sagesse » recherchée par la philosophie antique, puisqu’elle seule permet de pratiquer, indirectement et grâce à autrui, le « connais-toi toi-même ».
5Après quoi les deux parties du discours (la sincérité fait l’honnête homme dans la vie privée, elle fait le héros dans le commerce des grands) dévident amplifications et contrastes étudiés. La Providence divine ayant fait l’homme sociable et capable de dire la vérité aux autres, celui qui ne pratique pas cette vertu combat le dessein de Dieu. Ou encore, Dieu mesure le bonheur et le malheur des peuples au succès de la flatterie dans la cour des princes. Rien n’est oublié pour orner ces propos : références à la Bible, à la belle Antiquité, Homère, Euripide, Ovide, Virgile. Tantôt nous est offert le tableau merveilleux de la sincérité triomphante (la vertu, la véritable amitié règnent alors, le prince bien conseillé fait le bonheur de ses peuples), tantôt le tableau déplorable des vices contraires (la complaisance « vertu du siècle », le « vil courtisan »). L’exhortation et la vision finales appellent au retour de l’âge d’or.
6Usbek essaiera en vain de pratiquer la sincérité, et sera forcé de quitter la cour et sa patrie (Lettres persanes, [‣]) ; et dans les Pensées Montesquieu déplorera la « conjuration universelle » formée contre les princes « pour leur cacher la vérité » (no 1995).
Bibliographie
Manuscrit
Première publication
Mélanges inédits (1892), p. 13-27.
Édition critique
OC, t. VIII, p. 133-145 (Sheila Mason éd.).