Pierre Rétat
1Montesquieu prononça ce discours à la rentrée du parlement de Bordeaux, le jour de la Saint-Martin, le 11 novembre 1725. Les discours prononcés dans les cours souveraines par le président, le procureur général ou un avocat général, à la rentrée de la Saint-Martin ou à celle de Pâques, s’appelaient des « mercuriales ». Celui-ci s’inscrit dans ce genre et cette tradition ; il est le seul monument écrit qui nous reste de l’activité de Montesquieu parlementaire.
2Plusieurs manuscrits en ont été conservés, et il a eu la grâce improbable d’une édition, en 1771, à la faveur de l’agitation parlementaire qui suivit la réforme de Maupeou : le nom de Montesquieu était alors fort en honneur dans les parlements en lutte contre l’autorité royale, et son discours paraissait sans doute offrir une bonne occasion éditoriale (il y eut d’autres éditions dans les années suivantes, avant que le texte entre dans les Œuvres posthumes de 1783 publiées par Jean-Baptiste de Secondat, ce qui levait toute contestation sur son authenticité, puis dans les Œuvres dans les années suivantes ; la date de publication de 1725, a parfois été avancée, en raison d’une interprétation erronée de la page de titre).
3Le ton est celui de l’éloquence grave, sévère, ample, volontiers invocatoire, majestueusement ornée de références bibliques. Mais s’y exprime aussi, avec une grande fermeté, une haute idée de la justice et une vive indignation contre tout ce qui y porte atteinte. Après un exorde emphatique, Montesquieu annonce que, supposant dans les magistrats la vertu essentielle de justice, il ne parlera que des « accessoires » : cette vertu doit en effet être éclairée, prompte, point trop austère et enfin « universelle ». Après avoir esquissé une histoire de la justice depuis « l’origine de notre monarchie », évoqué les progrès de la fraude, de la « forme » et de la fourberie, il demande au magistrat de grandes « lumières » et un immense travail. Il dénonce ensuite le fléau de la chicane, l’« industrie du palais » devenue une source de fortunes, le triomphe de l’iniquité sur l’innocence : il faut donc rendre une prompte justice, user d’« affabilité » envers les malheureux, exercer même « l’affection générale pour le genre humain » chère aux stoïciens. Il exalte donc le courage nécessaire au juge pour résister aux « sollicitations ». « La justice doit être en nous une conduite générale », sans acception de lieu, de personne ou d’occasion, elle suppose un total désintéressement.
4Le discours se termine par un assez long éloge de Louis XV (où se remarque une invitation à la paix et à la modération) et du premier ministre le duc de Bourbon ; il appelle enfin les avocats à la retenue et au respect de l’adversaire, et les procureurs à seconder toujours les magistrats dans la recherche de la vérité et de la justice.
Bibliographie
Manuscrits
BM Bordeaux, Ms 828/xl, nohttps://selene.bordeaux.fr/in/imageReader.xhtml?id=BordeauxS_B330636101_Ms828_040_013&pageIndex=1&mode=simple&highlight=montesquieu%20%C3%A9quit%C3%A9&selectedTab=thumbnail ; 1988/2 ; 1709 ; première édition : s.l.n.d., 1771.
Édition critique
OC, t. VIII, p. 461-487 (éd. Sheila Mason).
Études
Jean Dalat, Montesquieu magistrat, Paris, Minard, Archives des Lettres modernes, 1971-1972.
Rebecca Kingston, Montesquieu and the Parlement of Bordeaux, Genève, Droz, 1996.