Discours sur Cicéron

Pierre Rétat

1« J’ai fait ce discours dans ma jeunesse », écrit Montesquieu dans une note tardive en tête du manuscrit. La main du secrétaire B désigne la période 1715-1718 ; peut-être la rédaction en est-elle antérieure, certains la font remonter jusqu’à 1709.

2Montesquieu ajoutait que ce discours pourrait « devenir bon » s’il lui ôtait « l’air du panégyrique » et entrait dans un plus long détail sur les œuvres de Cicéron et leurs circonstances historiques.

3Le titre Discours annonce la tenue rhétorique qu’il a voulu donner à son texte. Le style en est dense, allusif et vigoureux. Mais tout aussi frappant est le ton personnel qu’il lui imprime : « Cicéron est de tous les anciens celui […] à qui j’aimerais mieux ressembler […] Je sens qu’il m’entraîne dans ses transports et m’enlève dans ses mouvements. » « Panégyrique » peut-être, mais plus encore témoignage d’une rencontre intellectuelle et morale où sont engagés le « cœur » et l’« esprit ».

4Le Cicéron de Montesquieu est le « libérateur de la patrie et le défenseur de la liberté ». Son éloquence, que Montesquieu n’évoque qu’à propos des discours politiques, s’allie au « courage » de l’accusateur de Marc-Antoine ; Brutus, en invoquant son nom après le meurtre de César, fait de lui « le plus magnifique éloge qu’un mortel ait jamais reçu ». Montesquieu participe ainsi au mouvement de réhabilitation de Cicéron qui marque le XVIIIe siècle, bien que lui-même par la suite ait porté parfois sur lui des jugements moins favorables.

5Il ne fait pas un moindre éloge de Cicéron philosophe. Il lui reconnaît deux grands mérites : celui d’avoir libéré la philosophie d’une langue étrangère et de l’avoir rendue « commune à tous les hommes comme la raison » (ce qui est prêter implicitement à Cicéron les traits de Descartes) ; celui d’avoir confondu tous les philosophes en les faisant se détruire l’un par l’autre par la méthode sceptique (ce qui peut faire penser à Bayle).

6Un manuscrit de La Brède récemment retrouvé (Notes sur Cicéron, parues dans le tome XVII des Œuvres complètes), qui nous a conservé les notes de lecture de Montesquieu figurant originellement dans son exemplaire de Cicéron, ne révèle pas seulement un premier état d’une partie du discours, il montre aussi l’importance des sources antiques, du scepticisme du De natura deorum et du De divinatione, dans la formation de la philosophie de Montesquieu et son rapport à la religion. On en retrouve des échos évidents dans la Dissertation sur la politique des Romains dans la religion.

7Ce Discours va donc bien au-delà de l’éloge rhétorique, par l’enthousiasme personnel, les valeurs et les interrogations qui l’animent.

Bibliographie

Manuscrits

BM Bordeaux, https://selene.bordeaux.fr/in/imageReader.xhtml?id=BordeauxS_B330636101_Ms2099_001&pageIndex=1&mode=simple&highlight=montesquieu%20cic%C3%A9ron&selectedTab=thumbnail.

Première publication

Mélanges inédits (1892), p. 1-11.

Édition critique

OC, t. VIII, p. 117-132 (éd. Pierre Rétat).

Études

Patrick Andrivet, « Montesquieu et Cicéron : de l’enthousiasme à la sagesse », Éclectisme et cohérence des Lumières, Mélanges offerts à Jean Ehrard, Paris, Nizet, 1992, p. 25-34.

Catherine Volpilhac-Auger, « La référence antique dans les œuvres de jeunesse : de la rhétorique à l’histoire des idées », Cahiers Montesquieu 5 (1999), p. 79-87.