Pierre Rétat
1Seize textes relèvent de l’activité de Montesquieu membre de l’académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, entre son Discours de réception (1er mai 1716 ; il avait été élu le 3 avril) et les Réflexions sur les habitants de Rome, lues en son absence en décembre 1732.
2On peut y distinguer plusieurs ensembles, qui se trouvent dans des sites documentaires différents.
31. Les discours académiques conservés dans le fonds de l’académie de Bordeaux, passé lors de la Révolution à la bibliothèque municipale. Dix textes de Montesquieu sont réunis dans les volumes III et VI de l’énorme cote Ms 828 (107 volumes en tout). Ce sont des discours prononcés par Montesquieu soit comme académicien, soit (et le plus souvent) comme directeur de l’Académie, généralement lors de la séance d’ouverture de la fin novembre, ou le 1er mai, ou pour la Saint-Louis le 25 août.
1er mai 1716, Discours de réception ;
18 juin 1716, Dissertation sur la politique des Romains dans la religion ;
15 novembre 1717, Discours de rentrée ;
1er mai 1718, Discours sur la cause de l’écho ;
25 août 1718, Discours sur l’usage des glandes rénales ;
1er mai 1720, Discours sur la cause de la pesanteur des corps ;
25 août 1720, Discours sur la cause de la transparence des corps ;
20 novembre 1721, Observations sur l’histoire naturelle
15 novembre 1725, Discours sur les motifs qui doivent nous encourager aux sciences ;
25 août 1726, Discours contenant l’éloge du duc de La Force.
4Lorsque l’Académie voulut, au début des années 1780, publier un recueil de mémoires et sélectionna en particulier ceux de Montesquieu, son secrétaire, Lamontaigne, écrivit en tête d’un volume (828/iii) cette note où se mêlent restriction et vénération : « Quoique plusieurs de ces pièces puissent ne point paraître d’une certaine importance, le seul nom de cet homme immortel semble devoir y attacher une sorte de respect. On ne peut d’ailleurs s’empêcher d’y reconnaître assez généralement cette touche originale, cette vivacité de style dont tous ses ouvrages portent l’empreinte. »
5Ces textes furent révélés au public en 1796 par l’édition Plassan.
6En dehors des mémoires originaux (Dissertation sur la politique des Romains, Observations sur l’histoire naturelle, issues d’un Essai d’observations dont le manuscrit autographe date de 1719), ce sont des pièces d’éloquence académique ou des rapports sur les mémoires qui ont concouru pour l’obtention du prix annuel, prononcés avant que soit lu le mémoire du vainqueur si le prix est attribué (on remarque que beaucoup de titres ont été donnés par les éditeurs, les textes portant seulement « Discours prononcé à l’académie le … »). En 1718, pour le prix d’anatomie fondé par Montesquieu l’année précédente, aucun mémoire ne fut retenu sur « l’usage des glandes rénales » ; en 1720, aucun concurrent ne s’étant déclaré, Montesquieu traite lui-même de « la transparence des corps ». C’est en tant que directeur qu’il prononce l’éloge funèbre du duc de La Force, premier protecteur de l’Académie.
7On trouve dans ces discours une défense et illustration des travaux académiques, très révélatrice de l’idéal scientifique qui les anime et les oriente. L’académie s’adonne aux « sciences les plus abstraites » qui composent la « philosophie » : physique, astronomie, mathématiques, médecine, chimie. Loin de céder au découragement après l’âge des grandes découvertes, ce « premier âge de la philosophie » qu’est le XVIIe siècle, elle doit poursuivre le mouvement engagé et prouver que la province ne le cède pas à la capitale.
8Les discours de Montesquieu sont empreints d’une noblesse ingénieuse, ils cultivent l’art de l’allusion et de la citation recherchées, puisées dans la culture antique, même si la plupart d’entre eux sont de simples rapports ; Montesquieu y prouve des connaissances assez poussées surtout en anatomie et en médecine. Le langage et la pensée sont dominés par le modèle cartésien ou postcartésien.
9La coutume voulait que les discours prononcés lors des séances publiques fussent suivis de « résomptions », c’est-à-dire de résumés des dissertations lues par les académiciens dans les séances ordinaires. Ceux de Montesquieu en comportent de deux à quatre. L’édition Plassan, imitant en cela la commission académique de choix des textes, ne les avait pas publiées. Elles ont paru d’abord dans le tome III de l’édition dirigée par André Masson (1955). La lecture de ces minuscules textes est recommandable : Montesquieu y pratique à merveille l’art du compliment gracieux, de la louange plaisante, de la réticence aimable, où se déploie le bien-dire inséparable de la sociabilité académique.
102. D’autres textes, qui n’ont pas été conservés dans les papiers de l’académie, nous sont connus par des voies indirectes : le Mémoire sur le principe et la nature du mouvement, lu par Montesquieu le 18 novembre 1723, et dont la résomption d’un collègue et un journal savant ont gardé la trace ; le Traité des devoirs, lu le 1er mai 1725, connu par le compte rendu d’un journal savant, et par les Pensées.
113. D’autres textes enfin, seulement mentionnés dans les registres des procès-verbaux de l’Académie, ont été conservés dans la bibliothèque de La Brède et ont été connus tardivement, à la fin du XIXe siècle.
L’Éloge de la sincérité, probablement prononcé devant l’académie en 1717, sans qu’on en ait de preuve formelle ;
De la considération et de la réputation, 25 août 1725 ; un journal savant en avait donné au public le compte rendu en 1726 ;
Les trois Mémoires sur les mines, lus par Montesquieu les 25 août, 2 décembre 1731 et 3 février 1732 ;
Les Réflexions sur les habitants de Rome, lues en son absence lors de la séance d’ouverture de la fin novembre ou du début décembre 1732.
12Ce dernier groupe de textes, avec le Traité des devoirs déjà cité, occupe une place à part dans la carrière académique de Montesquieu : auteur célèbre des Lettres persanes, puis membre de l’Académie française, il n’intervient plus dans le cadre des travaux ordinaires de l’Académie (choix des sujets, examen des mémoires reçus, travaux scientifiques), il donne des textes qui relèvent de ses intérêts personnels. Ses dernières contributions sont le résultat d’observations faites pendant ses voyages, à Rome, en Allemagne et en Hongrie. Qu’en 1732 encore il ait voulu en faire profiter l’académie prouve son attachement à cette institution, qu’atteste plus tard sa correspondance et en 1749 son intervention pour défendre les intérêts de l’Académie contre les projets de Tourny. Mais sa participation s’arrête là.
Bibliographie
Éditions
Œuvres de Montesquieu, éd. Plassan, an IV-1796, t. IV (paru en novembre 1797) ; Mélanges inédits (1892) ; Œuvres complètes, dir. André Masson, t. III (1955), pour les résomptions (éd. Xavier Védère).
OC, t. VIII et IX, dir. P. Rétat, sauf pour les Mémoires sur les mines, OC, t. X, p. 605-675 (éd. Pierre Rétat, Jean Ehrard, Pierre Fluck).
Études
Pierre Barrière, L’Académie de Bordeaux, centre de culture internationale au XVIIIe siècle, Bordeaux, Brière, 1951.
Catherine Volpilhac-Auger, « De Bordeaux à Nancy : Montesquieu et le mouvement académique », dans Stanislas et son Académie (250e anniversaire), Jean-Claude Bonnefont dir., Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2003, p. 205-214.
Denis de Casabianca, De l’étude des sciences à l’esprit des lois, Paris, Champion, 2008.
Catherine Volpilhac-Auger, « Moi, je, Montesquieu… questions d’ ethos », dans Entre belles-lettres et disciplines. Les savoirs au XVIIIe siècle, Franck Salaün et Jean-Pierre Schandeler dir., Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2011, p. 137-148.
« Formes du savoir », Projet « Académie », Violaine Giacomotto dir. (Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine) ; voir notamment l’inventaire du Manuscrit 828, par Julien Cussaguet : [https://centre-montaigne.huma-num.fr/acad%C3%A9mie/academie/le-projet-academie/le-manuscrit-828.html]