Historia romana

Catherine Volpilhac-Auger

1L’Historia romana est-elle à proprement parler une « œuvre » de Montesquieu ? C’est en fait un cahier d’écolier, et donc le premier témoignage connu du « travail » de Montesquieu, ou plutôt la première trace écrite de sa main : un cours de 78 pages de petit format dicté par le régent chargé de l’histoire romaine au collège de Juilly, dans la classe de quatrième que le jeune « Labrède » rejoignit en août 1700 — il ne joue que le rôle de transcripteur de cette alternance de questions et de réponses (c’est la forme habituelle des cours), qui part de Romulus et s’arrête avec l’avènement d’Auguste. Cela constitue donc plus un témoignage sur l’enseignement (élémentaire) de l’histoire romaine à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle (le cours est constitué d’un centon de citations, essentiellement de Florus), ou un indice de ses premiers contacts avec le collège oratorien, qu’une introduction aux connaissances ou aux idées de Montesquieu. Tout juste notera-t-on que le jeune écolier a des difficultés à suivre la dictée, qu’il confond certains mots avec d’autres, et qu’il n’a manifestement jamais relu cela dans un but informatif : n’aurait-il pas corrigé ces bévues ? Dès qu’il prend son essor intellectuel, il est en contact direct avec les textes antiques, les relit et les approfondit, les passe au crible, afin de dépasser au plus vite la vision traditionnelle de l’histoire, présentée ici sous son aspect le plus superficiel et le plus rapide.

2L’intérêt de cet opus est donc plus biographique ou anecdotique que scientifique. Il n’en a pas moins été retenu dans le corpus des Œuvres complètes : en effet, Montesquieu avait conservé ce cahier d’écolier dans sa bibliothèque (Catalogue, n[‣]), sous le titre correspondant aux premiers mots du cahier, Origo urbis Romae ; donné on ne sait à qui, par qui et quand, il s’est retrouvé en 1865 chez le libraire Techener, où un descendant de Montesquieu le rachète. Il retrouve ainsi la bibliothèque familiale jusqu’à la dation de 1994, qui voit la comtesse de Chabannes confier à la bibliothèque municipale de Bordeaux tous les manuscrits et documents conservés à La Brède. Entretemps, il a été permis à Roger Caillois d’en fournir quelques extraits pour son édition des Œuvres complètes de Montesquieu, dans la « Bibliothèque de la Pléiade » chez Gallimard (1949-1951) — alors qu’on lui refuse l’accès à tous les autres manuscrits. C’est ainsi que s’explique l’apparition dans le corpus des œuvres de Montesquieu d’un opuscule qui n’en méritait pas tant (Volpilhac-Auger 2011, p. 331, 372-375).

Bibliographie

Manuscrit

Bibliothèque municipale de Bordeaux, fonds de La Brède, Ms https://selene.bordeaux.fr/in/imageReader.xhtml?id=BordeauxS_B330636101_Ms_2508&pageIndex=1&mode=simple&highlight=montesquieu%20historia&selectedTab=thumbnail.

Éditions

Historia romana. Cahier de collège de la main de Montesquieu, Louvain-Paris, Peeters, 1996 (éd. Maurice Mendel).

Historia romana, OC, t. VIII, 2003, p. 1-41 (éd. C. Volpilhac-Auger).

Bibliographie

Samy Ben Messaoud, « La formation intellectuelle de Montesquieu : l’enseignement des Oratoriens », dans Montesquieu. Les années de formation (1689-1720), C. Volpilhac-Auger dir., Cahiers Montesquieu 5, Naples, Liguori, 1999, p. 31-53.

Catherine Volpilhac-Auger, Un auteur en quête d’éditeurs ? Histoire éditoriale de l’œuvre de Montesquieu (1748-1964), Lyon, ENS Éditions, « Métamorphoses du livre », 2011, avec la collab. de Gabriel Sabbagh et Françoise Weil.