Secondat, Jean-Baptiste de

François Cadilhon

1Né le 10 février 1716 à Martillac, le fils unique de Montesquieu, aîné de ses trois enfants, fut envoyé très tôt faire ses études à Paris au collège Louis-le-Grand sous la direction du père Castel. Le philosophe voulait qu’il puisse reprendre l’office ancestral de président à mortier au parlement de Bordeaux et le prépara soigneusement à une vie sociale bordelaise définie. Le 2 novembre 1736, Montesquieu lui offrit d’abord une charge de conseiller et négocia ensuite son mariage en 1740 avec Marie-Catherine de Mons, fille du baron François Antoine Joseph de Mons, baron de Soussans et de Bessan, héritier d’une vieille famille de Bordeaux dont il était jurat. Jean-Baptiste de Secondat n’avait nulle envie de réaliser ce que son père n’avait pas pu poursuivre et ne siégea pratiquement jamais au parlement de la ville. À la mort de d’Albessard qui l’avait louée, Montesquieu dut finalement vendre sa charge de président le 4 août 1748 et Jean-Baptiste abandonna la sienne le 10 juin 1748 pour se consacrer à ses recherches personnelles.

2Élu à l’académie de Bordeaux dès le 4 novembre 1734, à la demande de son père, il s’y engagea ensuite pleinement. Souvent directeur, vice-directeur ou secrétaire perpétuel, en alternance avec François de Lamontaigne, il défendit une ouverture sociale de l’institution jusque-là largement réservée aux élites parlementaires et proposa la création de concours et de prix beaucoup moins théoriques que les premiers, désormais sur l’économie rurale ou sur les problèmes sociaux. À titre personnel, en évitant les soirées mondaines bordelaises, il multipliait dans son hôtel bordelais des expériences sur l’électricité, sur l’évolution démographique, sur les eaux minérales. Lors de voyages réguliers dans les Pyrénées, il réalisait des ascensions au sommet du Pic du Midi pour étudier la carte du ciel ou pour comparer les travaux de Fahrenheit et de Réaumur. Il se créa ainsi par correspondance un solide réseau européen de savants. En 1755, après la notice accordée à son père, il eut droit un article dans La France littéraire pour ses Observations de physique et d’histoire naturelle.

3Jean-Baptiste de Secondat dut aussi négocier plusieurs années pour régler la succession de son père et s’accorder avec sa sœur Denise, à laquelle il abandonna finalement les terres agenaises de Montesquieu. Tout en se plaignant souvent de sa situation financière à son amie la marquise de La Ferté-Imbault, fille de Mme Geoffrin, il était tout de même l’un des gros propriétaires bordelais, dans les Graves, l’Entre-deux-Mers et le Médoc. Selon les registres de capitation de 1776, si quatorze nobles bordelais devaient acquitter plus de deux cents livres, le baron de La Brède en faisait partie. Passionné par la vogue agronomique du XVIIIe siècle, il étudiait toutes les théories nouvelles et soutenait la création d’une société d’agriculture en Guyenne, encouragée par le gouvernement royal mais bloquée par le parlement. Jean-Baptiste de Secondat espérait les changements politiques et économiques proposés par Turgot mais finalement bloqués par l’hostilité résolue des parlementaires. Le baron, inquiet des tensions intellectuelles et politiques veilla donc à soigneusement contrôler et limiter la publication des œuvres de son père, jusqu’à transformer en 1783 la fin d’Arsace et Isménie afin de ne scandaliser personne par le suicide (inacceptable) du héros (voir OC, t. IX, 2006, p. 305-368). Le poids de la mémoire de son trop illustre père accentua son caractère solitaire et misanthropique. À l’académie de Bordeaux, alors que les nouveaux lauréats achevaient généralement leurs discours de réception par un hommage à l’auteur de L’Esprit des lois, il répondait souvent par des réflexions sur Montaigne.

4En 1787, dans un mémoire anonyme, Pensées d’un amateur de la vérité sur les affaires présentes (présent à la bibliothèque de Bordeaux sous la cote D60323 ; voir aussi ibid., Ms 2695/3), il suggéra une série de réformes lors de la réunion de l’assemblée des notables (Si le mémoire est anonyme le citoyen Secondat se présente comme l'auteur lors de son interrogatoire pendant la Révolution, AD Gironde 14 L 34, Cadilhon, p. 222) mais, trop âgé, il resta à l’écart des mouvements politiques et de la Révolution française. En janvier 1794, il fut cependant arrêté par les jacobins bordelais parce que son fils unique, Charles Louis, avait émigré pour servir dans les armées royales des princes. Ses biens furent placés sous séquestre, et après avoir été finalement relâché, il lutta pour obtenir leur restitution jusqu’à sa mort, le 17 juin 1795.

Bibliographie

Jules Delpit, Le Fils de Montesquieu, Bordeaux, P. Cholet, 1888.

Michel Figeac, Destins de la noblesse bordelaise, 1770-1830, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1996.

Carole Rathier, « Les réseaux des Lumières à Bordeaux, étude des correspondances 1768-1788 », thèse de doctorat, université de Bordeaux 3, 2007.

François Cadilhon, Jean-Baptiste de Secondat de Montesquieu, Au nom du père, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2008.

Julien Vasquez, Nicolas Dupré de Saint-Maur ou le dernier grand intendant de Guyenne, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2008.