Entresol (club de l’)

Pierre Rétat

1Sur le témoignage, livré en 1850, du possesseur de manuscrits de membres de l’Entresol, Montesquieu y aurait lu son Dialogue de Sylla et d’Eucrate. Depuis lors son nom est resté attaché à ce club politique éphémère (1724-1731), mais rendu célèbre par la qualité de ses membres et les questions qu’ils y agitaient.

2C’est tardivement, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, qu’on a parlé du « club » de l’Entresol, selon la mode qui se répandait alors en France de « clubs à l’anglaise ». Tout porte à penser qu’on ne l’a désigné, dans les années 1720, que comme une « conférence » ou une « académie politique ». On n’en suivra pas moins ici un usage qui s’est imposé.

3Le club doit son nom au lieu des réunions, l’entresol de la maison du président Hénault, place Vendôme, habité par l’abbé Pierre-Joseph Alary qui en fut le fondateur et l’animateur. Ce dernier devait déménager plusieurs fois, et vers la fin dans un entresol de l’hôtel de Nevers, où se trouvait la Bibliothèque du roi, dont il était un des « gardes ».

4Les membres du club ont été en tout environ vingt-cinq, tous issus de la noblesse d’épée ou de robe, sauf l’abbé Alary, lui-même très bien introduit à la cour et dans la maison d’Orléans. La présence plus ou moins longue de noms connus voire célèbres y est attestée : le marquis d’Argenson, Bolingbroke, le marquis de Lassay, Ramsay, le comte de Plelo, l’abbé de Saint-Pierre, le marquis de Balleroy. Ils s’y transmettaient des informations sur des questions de politique internationale, de commerce, de finance et en discutaient, mais aucune orientation politique commune n’est perceptible dans les mémoires et les œuvres dont on sait ou dont on a lieu de croire qu’ils y furent lus. Les membres faisaient partie de différents cercles des cours royale ou princières, et leurs sympathies allaient soit à la vieille noblesse, soit aux parlements ou encore à la monarchie absolue. L’Entresol apparaît donc aux yeux de l’historien comme une association de pensée et de réflexion politiques totalement nouvelle dans la France d’Ancien Régime, prometteuse et annonciatrice d’une expression autonome et organisée de l’opinion publique ; mais il se dérobe en même temps à une analyse un peu précise de ses activités, puisque aucun document à cet égard ne nous est parvenu, et qu’on n’en juge que d’après les œuvres de ses membres, parues après coup, parfois très tardivement, et presque toujours sans aucune référence ni indice qui s’y rapporte.

5L’embarras qui en résulte, sauf à se contenter d’hypothèses vagues, est patent dans le cas de Montesquieu. Qu’il ait lu le Dialogue de Sylla et d’Eucrate à l’Entresol n’est pas des plus sûrs, et dépend d’un témoignage peu solide. En outre le marquis d’Argenson, de qui l’on tient presque toute l’information disponible, ne fait pas entrer Montesquieu dans la liste des membres qu’il a établie avec soin. Il en est lui-même devenu membre en 1725, ce qui peut laisser supposer que Montesquieu a fréquenté le club avant son admission, donc en 1724, année dont la correspondance porte précisément la première trace du dialogue. Robert Shackleton en plaçait la lecture au club en 1727, c’est-à-dire après la seconde trace qu’on en trouve dans la correspondance. Mais alors pourquoi d’Argenson aurait-il omis le nom de Montesquieu ?

6Le problème ainsi posé est insoluble faute de documents. En 1731, au moment où les réunions du club cessent sur l’intervention de Fleury, Montesquieu voyage en Europe. Il est certain que sa participation, si toutefois il faut la croire réelle, aura été brève. Il serait donc abusif de définir l’esprit de cette « académie politique » par l’œuvre d’un membre aussi incertain et aussi éphémère. Il vaut mieux éviter les pétitions de principe. Montesquieu pouvait d’ailleurs retrouver des membres avérés dans plusieurs sociétés parisiennes, et en particulier chez Mme de Lambert. L’hypothèse de l’appartenance au club, pour séduisante qu’elle paraisse, n’est donc pas nécessaire pour faire participer Montesquieu aux échanges d’idées dont le club a été, dans la France de l’époque, le premier lieu non institutionnel de forme moderne.

Bibliographie

Nick Childs, A Political Academy in Paris, 1724-1731. The Entresol and its members, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, 2000.