Discours de réception à l’Académie française

Pierre Rétat

1Montesquieu fut reçu à l’Académie française le 24 janvier 1728. On a beaucoup écrit sur les difficultés qu’il rencontra lorsqu’il présenta sa candidature, et sur l’opposition que le cardinal de Fleury, alerté sur le contenu audacieux des Lettres persanes, y avait mise.

2On a beaucoup moins parlé du discours de réception, qui est pourtant digne d’intérêt à plusieurs égards. Obéissant en apparence aux conventions du genre, extrêmement contraignantes (éloge du défunt auquel on succède, éloge du fondateur de l’Académie, le cardinal de Richelieu, du roi « protecteur » de l’Académie), il les élude en partie et en joue avec habileté. La brièveté du texte est remarquable : il atteint à peine la moitié de la longueur moyenne des discours de l’époque. En donnant une forme condensée et allusive à l’éloge de Louis Silvestre de Sacy auquel il succède dans le fauteuil numéro 2, Montesquieu semble avoir voulu s’effacer devant Mme de Lambert, amie de l’un et de l’autre, qui avait fait publier déjà un long éloge dans le Mercure de France. La façon originale dont il traite les autres parties obligées est beaucoup plus significative ; son éloge des grands protecteurs est presque tout entier indirect, et s’adresse avec une ironie voilée à l’Académie, établie selon lui pour leur rendre un « culte réglé », et pour laquelle il exprime une admiration excessive et suspecte. Enfin il oppose en Louis XIV le « roi » et le « héros » dans des termes où l’on perçoit sourdement les condamnations passées et futures.

3On peut donc considérer qu’avec une prudence consommée Montesquieu a fait un discours à la fois très et très peu académique, en tout cas très original.

4La réponse de Jean Roland Malet (ou Mallet), directeur de l’Académie, très incisive, ne fut pas publiée (contrairement à la coutume) à la suite du discours de Montesquieu. On la trouve à partir de 1730 dans les Recueils de pièces académiques.

Bibliographie

Première édition en brochure, Paris, Jean-Baptiste Coignard fils, 1728 ; édition critique : OC, t. IX, p. 1-15 (éd. Pierre Rétat).

Sur l’élection : Robert Shackleton, Montesquieu. A critical biography, Oxford, Oxford University Press, 1961, p. 85-89.

Louis Desgraves, « Montesquieu et l’Académie française », dans Montesquieu, l’œuvre et la vie, Bordeaux, L’Esprit du temps, 1994, p. 39-60.