Nicole Masson
1Les relations de Montesquieu avec l’Académie française ont bien mal commencé : dans les Lettres persanes, il brosse dans la Lettre [‣] un tableau fort ironique des académiciens qui « n’ont d’autres fonctions que de jaser sans cesse » et qui ont perdu tout sens critique puisque « l’éloge va se placer comme de lui-même dans leur babil éternel ». Aussi, lorsqu’en octobre 1727 meurt Sacy, libérant un siège, Montesquieu semble bien impudent d’oser se présenter : outre Le Temple de Gnide, jugé fort licencieux, il n’a guère à son actif que ce roman, où on lit ces quelques phrases guère aimables pour l’honorable compagnie, mais, plus gravement encore, des attaques contre le roi et contre le pape, sans compter les passages jugés d’un orientalisme trop sensuel. L’ouvrage est certes paru anonymement, mais il ne peut le désavouer, puisqu’il s’agit de son seul atout littéraire. Sa position de provincial est aussi un handicap, même s’il vient de vendre la charge qui le fixait à Bordeaux.
2La première réunion de l’Académie, le 11 décembre 1727, ne parvient pas, faute de quorum, à statuer. De plus, le bruit court que Fleury et le roi sont hostiles à son élection. Montesquieu choisit alors de demander à être reçu par Fleury lui-même (la thèse de Voltaire, présentée dans le « Catalogue des écrivains » qui fait suite au Siècle de Louis XIV, selon laquelle il aurait fait composer exprès un exemplaire édulcoré des Lettres persanes, semble fantaisiste). À la suite de cette entrevue, le ministre aurait lu le roman et l’aurait apprécié. Toujours est-il qu’en effet, il ne manifeste plus dès lors d’opposition. Montesquieu bénéficie également du soutien de Mme de Lambert. La semaine suivante, le 18 décembre, il est élu. Montesquieu, qui avait inscrit quelques notes sur un Recueil de harangues de l’Académie française conservé à la bibliothèque municipale de Bordeaux (Catalogue, no[‣] ; OC, t. XVII), prononce le 24 janvier 1728 son discours de réception, que d’Alembert saluera comme « un des meilleurs qu’on ait prononcés dans une pareille occasion ; le mérite en est d’autant plus grand, que les récipiendaires, gênés jusqu’alors par ces formules et ces éloges d’usage auxquels une espèce de prescription les assujettit, n’avaient encore osé franchir ce cercle pour traiter d’autres sujets, ou n’avaient point pensé du moins à les y renfermer ; dans cet état même de contrainte, il eut l’avantage de réussir. Entre plusieurs traits dont brille son discours, on reconnaîtrait l’écrivain qui pense au seul portrait du cardinal de Richelieu […] » (Éloge de Montesquieu, en tête du tome V de l’Encyclopédie, 1755). Il assiste alors à deux séances, puis il part en voyage et ne revient à Paris que trois ans plus tard : il a obtenu la reconnaissance littéraire et parisienne qu’il souhaite.
3À chacun de ses séjours à Paris, il suit quelques séances et ménage ainsi ses confrères. Il veille à leur présenter les Considérations sur les […] Romains en août 1734. Lorsqu’il est élu directeur en avril 1739, puis en 1753, il se montre plus assidu durant ses mandats.
4Montesquieu intervient à plusieurs reprises au moment des élections avec des succès fluctuants. Ainsi il œuvre à l’élection de son ami Mairan, puis à celle de Maupertuis qui, plus tard, lui donnera accès à son tour à l’académie de Berlin (1747). Quand Voltaire est élu en 1746, il est absent et c’est pour l’élection de Duclos la même année que les deux écrivains se croiseront pour la première fois à l’Académie.
5Sa présence est plus épisodique dans les dernières années, plus absorbé qu’il est par ses diverses occupations. Il tente encore, mais en vain, de faire élire son ami Piron, en 1753 ; c’est lui qui, en tant que directeur de l’Académie, se présentera à Versailles pour régler cette délicate affaire.
Bibliographie
Édition
Discours de réception à l’Académie française, OC, t. IX, 2006, Œuvres et écrits divers II, p. 9-15.
Bibliographie
Louis Desgraves, « Montesquieu et l’Académie française », Revue historique de Bordeaux, VI, 1957, p. 201-217 ; repris dans L. Desgraves, Montesquieu. L’œuvre et la vie, Bordeaux, L’Esprit du temps, 1994, p. 39-60.
Robert Shackleton, Montesquieu. Une biographie critique, Grenoble, PUG, 1977 (1re éd., en anglais, 1961).
Pierre Rétat, introduction au Discours de réception à l’Académie française, dans OC, t. IX, 2006, p. 3-8.